Teddy Riner renaît en bronze aux JO

C’était un peu la quête du Graal pour le décuple champion du monde, déjà double champion olympique : réussir la passe de trois à trente-deux ans, cinq ans après Rio. Au final du bronze… mais aussi de l’or pour Teddy Riner.

Il a dit au revoir au milieu en 2017, dix ans après avoir emporté ses premiers championnats du monde. Il s’agissait au départ de ne pas se rendre aux championnats du monde 2018 à Baku, avant peut-être un retour vers 2019, pourquoi pas sur les championnats du monde à Tokyo, pour préparer son projet de triplé olympique. Il n’y sera finalement pas, mais le retour du champion est efficace en juillet et septembre de cette année-là avec deux sorties victorieuses et le passage en revue d’une bonne partie de la concurrence. Et puis tout se grippe… la star du PSG judo subit sa première défaite depuis plus de dix ans devant son public au Grand Chelem de Paris alors que le confinement est imminent et que les Jeux sont officiellement repoussés d’un an. Quelques mois plus tard, en leader de club exemplaire, il s’engage avec l’équipe du PSG pour les championnats de France et perd aux pénalités sur un arbitrage pour le moins sévère. De quoi douter, d’autant que, malgré une nouvelle victoire au Masters en janvier 2021, où il surclassera une nouvelle fois ses adversaires, dont un certain Tamerlan Bashaev, l’un des meilleurs Russes, il se blesse au genou dans la phase de préparation et ne reviendra que pour les Jeux.

Riner JO Tokyo (juillet 2021) 2Les attaques en sacrifice de Teddy Riner furent d'une grande aide sur la route de ce quatrième podium olympique consécutif. © Paco Lozano / L'Esprit du Judo


Puis-je le faire ?
Une question qui peut atteindre un mental, même aussi fort que celui de Teddy Riner. C’est pour cela sans doute que, dès son premier combat contre l’Autrichien Stephan Hegyi, qu’il conclut par un ippon sur un uchi-mata dont il a la spécialité, on le sent un peu hésitant à lâcher les chevaux ce 31 juillet. Une vieille connaissance au deuxième combat, l’Israélien Or Sasson, qui avait fait passer le frisson aux Jeux de 2016 en attaquant le grand Teddy sur un mouvement d’épaule bien placé. Cette fois encore, il parvenait à se montrer dangereux, faisant parfois perdre l’équilibre au champion en titre. Mais le Parisien prenait progressivement le contrôle en lançant son corps en sacrifice. De plus en plus dominateur, Riner mettait son adversaire à genoux et, en allant chercher le contrôle à la ceinture, le lançait sur le dos derrière lui.
Ce qui s’annonce alors est le dernier combat des phases préliminaires, et, comme on dit, une finale avant l’heure. C’est finalement Tamerlan Bashaev que les Russes ont choisi pour les représenter et l’intention est manifeste. Si le petit Bashaev est un combattant « en pleine bourre », vice champion du monde depuis un mois, c’est aussi un adversaire dangereux, avec sa petite taille et sa capacité à se glisser en dessous dans des mouvements d’épaule et à jouer des confusions sur les directions d’attaque. Un adversaire à risque pour Teddy, mais il avait su le gérer facilement à Doha pour les Masters, alors… Effectivement le Français contrôle bien son petit adversaire russe qu’il maintient à bout de bras et qui subit des pénalités pour non-combativité et fausse attaque. La demi-finale est à portée de main. Ce dernier s’accroche néanmoins, refuse la troisième pénalité synonyme de disqualification. Riner ne parvient pas à tuer le combat à ce moment-là… Quelques secondes plus tard, le Russe se glisse dans un mouvement d’épaule que le champion olympique 2012 et 2016 anticipe sans difficulté et s’apprête à contrer dans le timing. Il lance sa main vers la ceinture pour arrimer une bonne saisie et jette en même temps son corps en sacrifice pour entraîner le Russe sur le dos… mais il rate la ceinture, attrape un bout de veste, ce qui lui donne moins de contrôle, et le Russe, dont on pouvait craindre la mobilité, pivote sur lui-même, se jetant comme un boulet dans la direction de la chute de Riner ! Il a repris en une fraction de seconde le contrôle du mouvement. Le sacrifice volontaire se transforme en projection. Riner est pris dans son propre mouvement, à son propre piège. Il tombe, il est marqué. Il est trop tard pour se refaire, l’action a lieu au golden score.

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À trente-deux ans, la puissance du Parisien demeure un supplice pour tous ses adversaires. © Paco Lozano / L'Esprit du Judo

Comme un poids en moins
Il faut attendre les phases finales, plusieurs heures plus tard. Teddy Riner est en repêchages, mais dans quel état ? Il a attendu cinq ans et voilà que, sur une erreur infime, tout lui est enlevé. Tout ? Non car il lui reste la possibilité de ramener une quatrième médaille olympique, la seconde en bronze après celle qu’il avait récoltée à Pékin en 2008, alors qu’il avait tout juste dix-neuf ans. Mais a-t-il les ressources mentales pour « prendre ses pertes », comme on dit au poker, faire table rase de tous ses espoirs, et se reconcentrer sur l’objectif à atteindre dans les minutes qui suivent.
Il y parvient, et surprend même son staff par son état d’esprit. Il a « switché », et ce n’est pas le moindre des exploits du grand Riner. Rien ne l’arrêtera plus. Ni le colossal Brésilien Rafael Silva et ses 180kg, l’un de ses souffre-douleurs favoris puisqu’il battait ce combattant double médaillé mondial et double médaillé olympique pour la huitième fois en huit rencontres. Il se souviendra de celle-là : allant chercher sa ceinture par-dessus son épaule, il l’arrache du sol pour le jeter derrière lui quasiment sur la tête, avant de le finir en clé de bras ! Teddy Riner va beaucoup mieux. Il ira finalement chercher cette médaille de bronze contre celui qu’on lui promettait en finale, le Japonais Hisayoshi Harasawa, son rival de la finale de Rio 2016, lui-même arrêté en chemin autant par le stress que par l’adversaire. Sous la pression énorme que le Français faisait peser sur lui à la garde, toujours croisant par-dessus son épaule, le Japonais ne put que résister jusqu’au golden score, avant d’être éliminé aux pénalités. Teddy Riner venait de gagner sa quatrième médaille olympique. En bronze peut-être, mais peut-être la plus dure à aller chercher. Le lendemain, dans un par équipes de folie, il ira même chercher, en grand frère bienveillant, l’or olympique avec l’équipe de France dans une compétition mixte face au Japon dont c’était la première édition olympique. Cinq médailles olympiques dont deux en or… En attendant la suite pour laquelle le grand Riner, à trois ans de Paris, n’a peut-être pas dit son dernier mot.

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La fierté d'avoir rapporté deux médailles au dernier jour des individuels pour les deux Parisiens Romane Dicko et Teddy Riner. © Paco Lozano / L'Esprit du Judo